Visite pour les scolaires de l’exposition « Buissonnières »

Prenant place dans la saison intitulée “Battre la campagne” au Centre d’Art Contemporain de Lacoux, l’exposition “Buissonnières” a d’abord été pensée en mettant en doute une vision idéalisée de la ruralité qui a cours aujourd’hui.
Elle se traduit dans le champ de l’art par des formes et des attitudes qui célèbrent la nature comme une puissance rédemptrice, tandis que les zones rurales sont au cœur des enjeux des politiques locales, y compris en matière de culture. À rebours d’une vision bucolique du paysage, notre regard s’est arrêté sur les carrières marbrières, la monoculture du bois, plus bas, la “vallée du plastique”, la centrale nucléaire du Bugey à l’horizon, et, bien sûr, l’ancienne activité sanatoriale qui a laissé de véritables ruines industrielles sur le plateau. Cette traversée a convoqué le souvenir du célèbre texte de Robert Smithson, Une visite aux monuments de Passaic (1967) pour lequel l’artiste revient dans la région de son enfance muni d’un appareil photo. À travers la lentille, son séjour se transforme en une épopée post-industrielle teintée de science-fiction.

Cette médiation du regard sur le territoire alentour est matérialisée par les lunettes sorties des fabriques Oyonnaxiennes à partir des années 1930, fleurons du design local. Parmi elles, la sélection de pièces prêtées par le Musée du Peigne et de la plasturgie d’Oyonnax donnent un aperçu de cette aventure industrielle locale, qui trouve son origine dans la réalisation de peignes en buis dont la population se servait pour traiter les poux. Les modèles de lunettes extravagantes – dont plusieurs sont dus à des designeuses – se sont exportés jusqu’à Hollywood. La fantastique histoire du plastique d’Oyonnax se mêle donc dans l’exposition à d’autres aventures et fictions à travers des références cinématographiques et littéraires plus ou moins manifestes.

C’est un récit à plusieurs voix que nous imaginons comme un bruit de fond de l’exposition, féministe et anti-patriarcal, où il serait question d’émancipation, quitte à prendre la fuite ou encore les armes. Aussi le parcours démarre dans une salle aux airs de garage, qui pourrait être un lieu de repaire où les lunettes et peignes pliants pour sac à main se présentent à la manière d’équipements et accessoires d’armes. Comme dans un roman de Kathy Acker où l’héroïne s’incarne tour à tour dans plusieurs personnages, ce pourrait être la Lolita de Nabokov, cette princesse androgyne du film de Julien Ceccaldi, Paulette Guinet, designeuse d’Oyonnax, ou encore l’alpiniste franco-suisse Henriette d’Angeville (1794–1871) figure d’Hauteville-Lompnes qui fut la deuxième femme à gravir le Mont-Blanc à 44 ans, équipée, selon les dires des archives, d’ “un masque de velours” et de lunettes vertes”.

Dialoguant avec les objets patrimoniaux, les œuvres provenant de la collection de l’IAC (Villeurbanne) et du Fonds Cantonal d’art contemporain (Genève) ont été choisies pour le rapport qu’elles entretiennent avec les notions du faire ou de l’artisanat, leurs processus de création étant intimement liés à leurs formes et aux idées qu’elles contiennent.
Il s’avère qu’elles sont aussi, pour la plupart, reliées à la littérature ou à des récits historiques qui tous ont à voir avec des questions d’émancipation ou d’engagement politique. C’est, par exemple, un conte initiatique de Georges Sand pour la sculpture de Marie Ducaté, les messages codés qui ont aidé à l’évasion des plantations de cotons dans l’installation d’Ulla von Brandenburg, un texte de Karl Marx s’opposant à la privatisation des forêts dans l’oeuvre d’Eva Barto, ou encore l’entrecroisement du destin d’artiste de Jean-Marie Perdrix avec son engagement social auprès d’un coopérative burkinabaise qui a mis au point le recyclage des sacs plastiques pour fabriquer des tables d’école.
Tel un jeu de piste, une chasse au trésor, ou un roman interactif, nous vous invitons à faire votre propre chemin dans cette proposition qui se souhaite inclusive et ouverte à autant de regards.